Selon le philologue Claude saumaise (1588-1653), le mot grec eima, qui désignait poétiquement un vêtement-ornement, fut transformé en gemma par les Eoliens. Repris littéralement en latin, gemma désigne alors l’ornement au sens large: bourgeon sur la plante, cristal dans le filon métallifère, pierre précieuse sur l’individu. Ainsi le terme gemme traduit il bien en tant que vêtement-ornement, la sensation de nudité ressentie par certaines personnes en ôtant leurs bijoux, et , en tant que bourgeon de pierre, la croyance en la régénération des filons. En effet, au cours de leur progression souterraine, les mineurs exploitaient des filons métallifères pour en extraire l‘or, l’argent, le cuivre, l’étain, etc…, et rencontraient des géodes tapissées de cristaux diaphanes et bien formés: quartz, fluorite, calcite… qu’ils considéraient comme des bourgeons assurant la croissance du filon; les encroûtements de malachite ou de sulfates qui se formaient sur les bois de mines incitaient d’ailleurs à croire à la régénération du minerai, et donc des cristaux.
La recroissance
Ulpien (170-228) fait allusion aux carrières dont la pierre se renouvelle par croissance, et PLine l’Ancien (23-79) signale le merveilleux phénomène des mines d’Espagne qui, après un certain temps d’abandon, produisent de nouveau de l’or. La classique technique de l’exploitation concistant à reprendre les haldes minières après les avoir laissés s’enrichir par action météorique, bien décrite par Jean Baptiste Tavernier dans les récits de ses voyages, est à l’origine de ces croyances qui ont fortement influencé le droit minier romain. Plus tard, ces idées se sont déformées: l’explorateur Livingstone raconte que des tribus africaines enterraient leur or afin d’en tirer davantage de profit. Cette conception de la procréation des gemmes par elles même est restée longtemps vivace. Au Moyen Âge, les auteurs distinguaient toujours des cristaux mâles et des cristaux femelles. Aujourd’hui encore, notre vocabulaire reste imprégné de cette idée: le minéralogiste parle de cristal transparent et propre, le joaillier parle de racine pour désigner un cristal pierreux et givré. Effectivement, un cristal limpide est souvent solidaire de la gangue par une partie givreuse, ce qui évoque bien le bourgeon de nos ancêtres, développé à partir de racines noueuses.
Au sens strict, une gemme est donc un cristal transparent, dont la couleur et l’éclat seront magnifiés par l’art du lapidaire, ce que la langue allemande traduit par cristal "taillable". Les gemmes les plus appréciées – diamant, émeraude, rubis, saphir – sont qualifiées de pierres précieuses, et les autres de pierres fines ("fin" prend ici le sens médiéval de "noble", bien exprimé par edelstein, pierre noble en allemand).
Bien que givreux et laiteux, un cristal peut être utilisé si sa couleur est attrayante, et le joaillier parlera alors aussi bien de racine que de pierre ornementale. C’est ainsi que sont désignées comme racines d’émeraude et racines d’améthyste des émeraudes et des améthystes opacifiées par leurs multiples givres et inclusions, mais qui, suite de la vivacité de leur couleur, sont utilisées pour la parure, voire la statuaire, et deviennent alors des pierres ornementales.
De même, diverses roches et des minéraux translucides à opaques, comme la turquoise, le jade, ont une indéniable valeur commerciale, et s’utilisent en joaillerie, soit isolément soit associées à des gemmes au sens propre. Diverses sécrétions animales ou végétales (perles, ivoire, ambre) couramment employées en joaillerie font de ce fait aussi partie de la gemmologie.
Au sens le plus large, le mot gemme désigne tout cristal, toute roche, toute sécrétion animale ou végétale dont la beauté est telle qu’elle peut participer à l’éclat et au rayonnement d’une parure.